« Action! » C’était pas compliqué, le rush d’adrénaline juste avant d’entendre ces mots, de voir la caméra s’allumer, le signe du réalisateur fendre l’air, la poussée que je me donnais pour m’élancer vers l’avant, tout ça, ça valait tout l’or du monde. Y’avait un avion sous mes pieds, un putain d’avion, en mouvement, et moi comme un con fallait que je cours sur son aile, que je saute sur la coque, que je reprenne ma course de l’autre côté. Y’avait l’air qui fendait le ciel, qui se cognait sur mon visage, mon visage fermé, les consignes je les suivais hen, mon visage qui s’exaltait de l’intérieur parce que merde que j’adorais mon boulot. L’avion continue d’avancer, accélère sa course, le soleil tape et j’ai chaud, je crève, mais j’arrête pas de courir, je cours et j’esquive, je cours et je saute, je cours et j’oublie les 3 autres prises d’avant où on faisait que pratiquer, où y’avait rien en marche, juste mes jambes qui joggaient sans vraiment réfléchir, comme si elles avaient pas besoin de se forcer nécessairement parce que c’était trop simple, trop évident. On a pratiqué le jogging, on m’a donné les indications selon l’acteur que je couvre, on m’a fait le topo des dangers du truc, on m’a fait signer encore et encore des papiers. C’était pas dangereux en soi, parce que j’avais déjà fait bien pire, mais c’était exactement ce dont j’avais besoin. Pour me casser la gueule, pour casser la routine aussi, la routine qui me pesait, le surf qui me manquait. Ça faisait presque un an déjà que j’étais de retour à L.A., un an que j’avais quitté l’équipe de surf à Hawaii, que j’avais ouvert mon food truck, que je l’avais laissé entre les mains de Frank, un cuistot du mexican village qui avait des doigts de fée quand on lui mettait de la salsa entre les main. Un an que j’habitais une maison ridiculement grande, avec vue sur l’océan, comme pour me narguer. Un an que j’avais retrouvé mes parents, Miccah, Isla, Lavender & Rosa. Un an que j’avais repris ma place dans le band de Deklan, que j’avais rencontré des tas de nouveaux potes, des filles aussi, tellement de filles. Un an que les Iver étaient revenus dans ma vie, pour ensuite en partir tout aussi abruptement. Un an. Et les cascades venaient aider tout le reste à mieux passer.

Je vois les caméras qui roulent, qui tournent, qui suivent mes moindres gestes. Je vois le réalisateur qui jogge lui aussi sur la piste, pour essayer de me suivre, pour essayer de voir de ses yeux et pas à travers un écran ce que ça donne. Puis je vois la co-star, une belle rousse, volubile, souriante, qui sort la tête du cockpit, qui me fait signe d’entrer par la fenêtre qu’elle a ouverte, de me glisser là prompto avant que l’explosion qui s’apprête à partir en furie dans les 10 prochaines secondes ne me rende sourd – in the movie. J’esquive un dernier coup de vent, j’improvise une roulade bien réfléchie sur l’aileron, rien que parce que je me sens agile ce matin, et je finis par entrer in extremis la rejoindre avant d’entendre en sourdine le boulot des mecs aux effets spécieux qui résonne dans ma tête, dans mon dos. Le ciel se charge, une puissante odeur de fumée, de brulé, de souffre empli mes poumons et une belle couleur orangé, rouge, puissante, teinte le plateau. On gueule « Cut! », je suis trop occupé à faire le gamin et à regarder à travers les fenêtres le feu qui s’anime, qui crépite, qui grésille à la queue de l’avion. Ça, c’était une belle matinée. L’actrice en profite pour retourner au sol, me laissant pantois devant un tableau de bord complexe et de la sueur qui perle sur mon front. J’étais heureux, comme j’étais heureux. Je finis par rejoindre tout le monde sur la piste d’atterrissage, boulot comme un autre qu’on coche de la liste des to-do du jour. « Bon boulot Whitely. » que me mentionne le réalisateur, accompagné des deux caméramans principaux. « Y’a que l’acrobatie à la fin qui faisait un peu trop, mais à l’écran on me dit que ça passe. » je m’y attendais, mais quand on acte, faut se laisser guider par ses impulsions du moment, non? « La prochaine fois, essaie de pas t’imaginer être sur le set d’un film de cheerleaders. » éclat de rire partagé par tous, je roule des yeux et rie de ma propre bêtise à mon tour. Ils ne comprendront jamais mon art, faut croire.

« Leo, y’a quelqu’un qui te demande! » que j’entends résonner dans mon oreillette, et j’hausse le sourcil. Y’a personne qui demande le cascadeur de service, surtout pas un mardi, 11h. La rousse se rapproche, curieuse, et je suis presque flatté de voir qu’elle y porte la moindre attention avant de voir Brent débarquer à l’entrée du plateau, à la gate qui reste bien fermée à son approche. Comment j’arrive à le différencier, lui le jumeau, lui qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Miccah? Parce que justement, ils ne se ressemblent pas du tout. Les traits de Miccah sont plus fins, plus justes, plus doux. Ceux de Brent sont tirés, sont vifs, sont sombres. Surtout maintenant, alors qu’il nous a fait la surprise il y a quelques jours déjà de redébarquer dans notre vie après son absence soudaine. Mais avec Brent, fallait le prendre quand il venait. Parce qu’il risquait de ne pas revenir de sitôt, parce qu’on ne savait jamais ce qui le prendrait, parce qu’on ignorait quand on allait le revoir de nouveau. « Hey, bro! » j’agite la main bien haut et m’approche de lui, faisant signe au gardien que tout est ok. « Je viens tout juste de finir de me battre contre du feu, t’as manqué ça! »