19 avril.
Trente ans, hein. Meh. Les gens arrivent petit à petit, y'a des bouteilles qui s'ouvrent, des félicitations au p'tit goût amer s'alignent, la musique qui augmente. Début de soirée, ça ira mieux ensuite, de sûr, mais, là, tout de suite, j'avais besoin d'un boost et j'ai beau passé en revue les premiers arrivés de la fête, je ne repère pas la tête rose en charge de la mission. Alors, entre deux "La prochaine, c'est les 40!" et exclamations de joie de revoir machin dont je me souviens même pas du nom, je glisse ma main dans ma poche, pioche mon portable et laisse courir mes doigts sur le clavier.

Elle avait fini par ramener sa tête acidulée vers mon côté du bar et cinq minutes plus tard, peu importe son air bougon et ses claquements de langue appuyés qui jugeaient chacun de mes faits et gestes, y'avait une tornade de mèches roses qui s'abattait sur mon visage et qui me filait d'un même temps le besoin d'éternuer, l'envie de manger de la barbe-à-papa et le bourdon de me dire que j'avais maintenant officiellement passé le stade où aller en acheter une vers un forain entre deux gamines avec des couettes me foutrait avec les honneurs sur la liste de surveillance des prédateurs sexuels du secteur. Elle m'avait crevé un tympan à s'époumoner sur les premières notes de Lässig Sein, j'avais râlé sur son haleine qui fleurait un peu trop le dude qui gardait l'entrée, elle avait poussé vers moi le verre qu'elle venait fièrement de se faire offrir en battant des cils sur ses pupilles éclatées alors que la note finale serait pour moi, j'avais bu, on avait bu, et la soirée s'était avancée, de mieux en mieux, de plus en plus floue, aussi. Puis on avait bougé, elle m'avait collé au train, elle s'était éclipsée ça et là pour en renifler d'autres sûrement mais elle était toujours revenue, y'avait d'autres personnes qui s'étaient greffées à nous et qui repartaient, qui restaient,  Ash, Dim, les potes, les inconnus, les vagues souvenirs, et puis, et puis- il était apparu. Grand et frêle, un noeud pap au cou et des loupes aux yeux, le rire communicatif et la peau luisante, les bras pas assez nombreux pour soutenir correctement le mastodonte de paquet cadeau qu'il transportait, il avait failli se rétamer par terre en me tendant sa poignée de main mais il s'était tout juste rattrapé en se laissant tomber au milieu du canapé, entre nous, le rire tellement saccadé que j'aurais cru qu'il allait venir niquer la soirée à peine lancée en nous crevant d'un infarctus juste là si je n'avais pas encore une gorgée de vodka qui attaquait mon palais et qui réduisait ma faculté à réfléchir. Alors, je lui ai juste serré la main, je l'ai remercié de me rappeler que la prochaine, c'est les 40!!, je lui ai dit que ça me faisait autant plaisir qu'à lui qu'on se revoit ce soir et j'ai pris en charge son cadeau en guettant une jolie p'tite carte assortie, autant à l'emballage fancy qu'à la dégaine de loser du mec, dans l'espoir que j'y trouve un nom et que j'aie peut-être une étincelle de souvenir quant à qui ce mec était. Mais non, rien, alors, mon verre vide reposé sur la table et aussitôt rempli par une bonne âme du soir, j'ai négocié le papier d'emballage pendant que Machin montait dans les aigus en répandant son amour des câlins aux autres du canapé et j'ai ouvert la boîte. Y'a l'aube d'une poker face qui s'est glissée sur mes traits mais le surexcité s'est retourné vers moi et il m'a fait peur à applaudir frénétiquement et à sautiller sur son assise, alors j'ai souri, wtf-ed, certes, mais brillant, sympa, aussi. Je l'ai remercié d'une tape sur l'épaule et j'ai remis le couvercle sur la boîte avant qu'une paire d'yeux s'y glisse et qu'elle foute la merde en provoquant un fou rire auquel je ne survivrais pas et, putain, vu l'énergumène, je préférais prendre toutes mes précautions quant à l'intégrité de ses sentiments. Il a commencé à s'enflammer sur une histoire de cacahuètes et ses allergies et whatever, mais je n'ai pas suivi, j'ai fixé Sloan assise en face, le regard Bernstein, vous voyez, celui qui pèse, qui interpelle, qui communique, et j'ai ressorti mon téléphone.